Le vin de la vanité
Posté : lun. 24 avr. 2006 18:48
Le vin de la vanité
LE MONDE | 21.04.06 | 15h05 • Mis à jour le 21.04.06 | 15h05
La France, première productrice et première consommatrice de vin, a une position prestigieuse dans ce secteur. Ses vignerons ont une expérience bimillénaire dans le soin de la vigne. Ses cépages (merlot, chardonnay, pinot, syrah, cabernet-sauvignon, etc.) sont travaillés comme nulle part au monde. La France est pourtant en train de rater la mondialisation du vin.
Le pays donne dans ce domaine une triste illustration de ce qui le freine plus généralement : un conservatisme nourrit de la vanité de croire qu'on peut donner des leçons à la Terre entière. La France a voulu apprendre aux autres peuples à boire comme elle, de la même façon qu'elle a voulu construire l'Europe "à la française". Avec, au bout du compte, un échec identique. La consommation mondiale de vin augmente et le marché s'internationalise. Un tiers des vins sont consommés aujourd'hui hors de leur pays de production. La France voit sa part d'exportations se rétrécir : de 23 % en 2001, elle revient à 18 % en 2005.
Les vins du Nouveau Monde (Etats-Unis, Australie, Chili, Argentine, Afrique du Sud) gagnent du terrain en s'étant dotés de méthodes industrielles et d'un marketing efficace. Les surfaces plantées augmentent et les forces commerciales sont réunies dans un petit nombre de groupes très puissants. L'Espagne, s'inspirant des mêmes recettes, donne l'exemple d'une transformation réussie. La superficie de ses vignes n'a pas augmenté mais ses exportations ont doublé en dix ans.
En France, beaucoup a été fait pour élever la qualité dans toutes les régions vinicoles. Les AOC représentent aujourd'hui 80 % de la production. Cette évolution vers le haut a permis de compenser, par les prix, la baisse de la consommation intérieure. Les Français boivent moins mais mieux.
Il n'en est pas de même à l'exportation. Si les Français ont su apprendre à lire les étiquettes, les étrangers sont rebutés par le nombre d'informations qu'elles comportent. La France, figée dans sa culture du petit vin de propriété d'un côté, des grands crus de l'autre, souffre d'un manque de grandes "marques" connues mondialement, offrant des vins dont la qualité est constante, d'une année sur l'autre, avec des étiquettes simplifiées qui décomplexent les non-connaisseurs. Les grandes AOC, comme Bordeaux ou la Bourgogne, dont la notoriété mondiale n'est plus à faire, n'ont pas su se fédérer pour devenir de vraies marques. Alors même que la Champagne a su le faire, s'appuyant sur des groupes mondiaux comme LVMH.
Les initiatives se heurtent encore aux conservatismes qui se réfugient derrière le "modèle français". La France, dont la balance commerciale est déficitaire de 25 milliards d'euros, a besoin de valoriser tous ses atouts. Son vin en est un. Il le mérite.
LE MONDE | 21.04.06 | 15h05 • Mis à jour le 21.04.06 | 15h05
La France, première productrice et première consommatrice de vin, a une position prestigieuse dans ce secteur. Ses vignerons ont une expérience bimillénaire dans le soin de la vigne. Ses cépages (merlot, chardonnay, pinot, syrah, cabernet-sauvignon, etc.) sont travaillés comme nulle part au monde. La France est pourtant en train de rater la mondialisation du vin.
Le pays donne dans ce domaine une triste illustration de ce qui le freine plus généralement : un conservatisme nourrit de la vanité de croire qu'on peut donner des leçons à la Terre entière. La France a voulu apprendre aux autres peuples à boire comme elle, de la même façon qu'elle a voulu construire l'Europe "à la française". Avec, au bout du compte, un échec identique. La consommation mondiale de vin augmente et le marché s'internationalise. Un tiers des vins sont consommés aujourd'hui hors de leur pays de production. La France voit sa part d'exportations se rétrécir : de 23 % en 2001, elle revient à 18 % en 2005.
Les vins du Nouveau Monde (Etats-Unis, Australie, Chili, Argentine, Afrique du Sud) gagnent du terrain en s'étant dotés de méthodes industrielles et d'un marketing efficace. Les surfaces plantées augmentent et les forces commerciales sont réunies dans un petit nombre de groupes très puissants. L'Espagne, s'inspirant des mêmes recettes, donne l'exemple d'une transformation réussie. La superficie de ses vignes n'a pas augmenté mais ses exportations ont doublé en dix ans.
En France, beaucoup a été fait pour élever la qualité dans toutes les régions vinicoles. Les AOC représentent aujourd'hui 80 % de la production. Cette évolution vers le haut a permis de compenser, par les prix, la baisse de la consommation intérieure. Les Français boivent moins mais mieux.
Il n'en est pas de même à l'exportation. Si les Français ont su apprendre à lire les étiquettes, les étrangers sont rebutés par le nombre d'informations qu'elles comportent. La France, figée dans sa culture du petit vin de propriété d'un côté, des grands crus de l'autre, souffre d'un manque de grandes "marques" connues mondialement, offrant des vins dont la qualité est constante, d'une année sur l'autre, avec des étiquettes simplifiées qui décomplexent les non-connaisseurs. Les grandes AOC, comme Bordeaux ou la Bourgogne, dont la notoriété mondiale n'est plus à faire, n'ont pas su se fédérer pour devenir de vraies marques. Alors même que la Champagne a su le faire, s'appuyant sur des groupes mondiaux comme LVMH.
Les initiatives se heurtent encore aux conservatismes qui se réfugient derrière le "modèle français". La France, dont la balance commerciale est déficitaire de 25 milliards d'euros, a besoin de valoriser tous ses atouts. Son vin en est un. Il le mérite.