Comment une bouteille se bonifie

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Montrachet
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Comment une bouteille se bonifie

Message par Montrachet » mar. 12 sept. 2006 12:13

Un texte très intéressant sur le site de nutrition.fr, un texte en nuance comme je les aime.

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Montrachet


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Comment une bouteille se bonifie, Thierry Souccar.


A quel moment ouvrir une bouteille pour qu’elle donne le meilleur d’elle-même ? Terroir par terroir, millésime après millésime, les œnologues se livrent au difficile exercice de la prévision : ce sont les courbes de vie. Aujourd’hui empiriques, elles s’appuieront demain sur de plus en plus de science. Reste pour cela à percer le mystère du vieillissement du vin. Une sombre affaire d’oxygène. Comme dans le vieillissement humain...

Heureux ceux qui ont fait provision de Bordeaux rouge 1982. Ce fut une année magique. « Un millésime d’exception, à comparer aux plus grands millésimes d’après-guerre, » s’extasie Franck Dubourdieu, œnologue à Bordeaux. Tous les vins de l’année sont touchés par cette grâce. Mais en Bordelais, comme ailleurs, l’égalité n’existe pas. Les vins les plus prestigieux, comme un Château Pétrus, combleront leur propriétaire vers le milieu du siècle prochain. Les autres, tels un Domaine de Chevalier Blanc, ne peuvent attendre. Il fallait les ouvrir avant 2005. Cette inégalité des vins devant l’évolution fascine et interpelle quelques dizaines de chercheurs et d’œnologues dans le monde, bien trop peu pour espérer en percer tous les secrets. Le vieillissement du vin en bouteilles – car c’est bien de cela qu’il s’agit – reste un phénomène presque aussi mystérieux que le vieillissement humain, et qui pourrait obéir aux mêmes mécanismes fondamentaux. Car les vins ont, comme nous, leur courbe de vie. L’acidité turbulente de la jeunesse est suivie d’une éclosion des saveurs qui annonce le moelleux et le charnu de la maturité. Il faut alors savoir saisir au propre cet état d’équilibre parfait, sacrifier sans hésiter ses bouteilles, et laisser le vin donner le meilleur de lui-même. Car lui succède par la suite un déclin, lent ou brutal selon l’origine. Dans tous les cas, le bouquet s’évente peu à peu, la couleur vire. La fin est proche.

Le vin évolue dans le temps parce qu’après la mise en place du bouchon, des réactions physico-chimiques continuent au ralenti de « travailler » ce milieu instable. Pour un petit nombre de crus dans le monde, elles se traduisent – des années, voire des décennies plus tard – par une amélioration des qualités gustatives. Ces vins de « garde » sont les plus recherchés par les amateurs. Ce sont les plus prestigieux, et aussi les plus chers.

Dès la mise en bouteilles, les protagonistes qui vont décider de la vie du vin sont en place. A commencer par l’oxygène. Ce moteur du vieillissement ne manquerait pour rien au monde pareille fête. Justement, le passage en fût a chargé le vin d’oxygène. Au cours de la maturation, qui, pour les grands vins, dure un an et demi à deux ans, un peu d’oxygène pénètre par les pores du bois et un peu plus encore pendant les opérations de soutirage. Au total, ce sont en moyenne 20 cm3 d’oxygène par litre qui sont chaque année dissous. Après la mise en bouteilles, explique Yves Glories, doyen de la faculté d’œnologie de Bordeaux, « le bouchon fonctionne comme une membrane semi-perméable qui distribue l’oxygène au vin quand il en a besoin. » Il faut à cet oxygène un partenaire. Ce seront les célèbres polyphénols, obligeamment fournis par la pulpe, les pépins et la peau du raisin. A ces composés phénoliques vont venir s’accrocher des polysaccharides et des protéines, eux aussi invités à l’étourdissant bal moléculaire dont le vin est le siège, dès la mise en tonneau, et qui vont en ralentir ou en accélérer la cadence.

Le couple oxygène-polyphénols interprète alors un pas de deux que la chimie terrestre répète depuis 3 milliards d’années, depuis l’intrusion de l’oxygène dans l’atmosphère. L’oxygène arrache des électrons, les polyphénols en donnent. Le premier est un oxydant en puissance, les seconds, par définition, des antioxydants. La rencontre donne naissance à des composés instables, que l’on appelle « espèces réactives de l’oxygène » (ROS). Dans une bouteille, les ROS déclenchent des réaction en chaînes qui transforment peu à peu les polyphénols d’origine et sont à l’origine de l’apparition des saveurs et des arômes typiques des vins qui ont bien vieilli. C’est donc la lente oxydation des composés phénoliques qui conduira le vin à son épanouissement.

Pour juger du potentiel de vieillissement d’un vin, de son caractère de garde, la teneur et la qualité des polyphénols apparaît donc déterminante. La quantité de polyphénols varie en fonction du terroir, des conditions climatiques, et du savoir faire du viticulteur. Plus il y en a, plus les réactions d’oxydo-réduction se prolongeront, et plus la courbe de vie est susceptible de projeter haut, avant de s’affaisser mollement quelques décennies plus tard. Ca, c’est la théorie. Mais dans la réalité, les contre-exemples abondent. « Prenez les vins rouges du Jura, dit Michel Feuillat, de l’université de Bourgogne. Légers en couleur, pauvres en tanins, ils donnent pourtant des vins de garde extraordinaires ! » En Bourgogne, le Pinot noir, relativement pauvre en tanins, peut lui aussi donner d’excellents vins de garde. Les viticulteurs sont parfois tentés d’améliorer le caractère de garde de ces vins en augmentant le pressurage, une manière d’augmenter la quantité de tanins. Mais c’est une erreur. Les tanins ainsi extraits, explique Michel Feuillat, sont de mauvais tanins, amers, qui n’évoluent pas. La qualité et la stabilité des tanins jouent donc un rôle important dans le vieillissement d’un vin.

Les anthocyanes, pigments du raisin rouge, sont un instrument majeur de cette stabilité. « Un Bordeaux rouge contient au départ 800mg/L d’anthocyanes à l’état libre par litre », indique Yves Glories. « Deux ans plus tard, on n’en trouve plus que 150mg/L. Dix ans plus tard, on ne trouve plus rien. » Explication : en s’agglomérant, les tanins forment des mailles moléculaires qui emprisonnent les anthocyanes. Une combinaison, qui, selon Michel Feuillat, « améliore la couleur et la stabilité dans le temps. »

Les vins blancs, quasiment dépourvus de tanins, vieillissent bien car l’élevage sur lies stabilise les tanins… cédés par le fût. A l’aide d’un bâton, le viticulteur mélange régulièrement le vin de ses tonneaux, ce qui a pour effet de remettre les lies en suspension. La décomposition des levures mortes, précise Michel Feuillat, cède des acides aminés, des peptides, des manno-protéines, toutes molécules qui ont une influence sur la qualité organoleptique du vin. Et lui donnent de la longueur.

Si la qualité et la stabilité des polyphénols peut traduire, à la manière d’un patrimoine génétique, le potentiel d’un vin, encore faut-il qu’il s’exprime pleinement. Comme dans le vieillissement humain, c’est alors l’environnement qui prime. Plus le pH du vin est élevé (acidité faible), plus les réactions d’oxydation des composés phénoliques sont rapides. Le Botrytis cinera, un champignon, libère des enzymes qui peuvent faire vieillir rapidement le vin. Trop d’oxygène, et le potentiel oxydatif augmente avec pour conséquence un vieillissement prématuré. Trop peu d’oxygène et, à l’inverse, le processus se trouverait ralenti. « Le bouchon de liège apparaît à ce titre comme le matériau idéal du bouchage, analyse Franck Dubourdieu. Une obturation complète bloquerait le processus d’oxydo-réduction après consommation totale de l’oxygène initial et ne pourrait convenir au long épanouissement des grands vins. » Il en va de même de la température. Trop élevée (au dessus de 20° C), elle entraîne une modification rapide de la structure des tanins, source d’un vieillissement accéléré.

Les caractères sensoriels du vin sont le témoin de sa lente évolution. « La modification de la matière colorante est un élément primordial de l’appréciation du vin que l’on s’apprête à déguster, » dit Franck Dubourdieu. La couleur renseigne sur l’état de vieillissement d’un vin, son âge physiologique, ses qualités gustatives. La couleur des vins rouges jeunes est donnée par les anthocyanes. Ses variations révèlent les transformations chimiques de ces substances. « Arrivée à maturité, poursuit Franck Dubourdieu, la couleur perd de sa profondeur initiale et de sa vivacité purpurine. Elle se laisse pénétrer par les rayons lumineux et l’œil discerne toutes ses nuances d’un rubis châtoyant. Puis la teinte s’estompe et s’enrichit de notes orangées, d’abord perceptibles sur les bords. La généralisation de l’orangé annonce le déclin général. Le vin se « tuile. » » Dans les vins blancs jeunes, dominent des reflets jaunes et verts. Dans les vieux Sauternes, le jaune est plus intense, avec apparition de nuances dorées, ambrées.

Les composés volatils qui forment le bouquet commencent d’être connus, grâce aux travaux analytiques importants conduits à l’INRA de Dijon. Mais un champ gigantesque reste à défricher. « A quoi tient l’odeur d’âtre que prennent en vieillissant les grands cabernets ou celle de sous-bois, d’humus et de truffe dans le bouquet du Merlot ? s’interroge Denis Dubourdieu, (Faculté d’œnologie, Bordeaux-II), qui note que l’arôme des vins prématurément vieillis se banalise. « Dans les vins blancs, c’est l’odeur de cire et de résine, de miel et de camphre. Dans les rouges, celle de pruneaux cuits, avec des notes poussiéreuses de vieux meubles. »

Avant d’en arriver là, le goût lui aussi aura fluctué. Dans un vin rouge jeune, l’astringence domine. Elle est due à l’action des tanins sur les protéines de la salive. Celles-ci étant inactivées, la muqueuse buccale ne possède plus son lubrifiant naturel. Le vin laisse une impression de rugosité parfois désagréable. Peu à peu, l’astringence diminue. Les tanins précipitent et forment l’essentiel du dépôt des vins rouges vieux. « Ce processus, dit Franck Dubourdieu, confère l’assouplissement gustatif des vins tant recherché au cours du vieillissement. Il intervient certainement dans le caractère de moelleux, de charnu que peuvent acquérir les vins avec l’âge. » La phase de déclin s’annonce quand la densité des tanins actifs devient insuffisante. « Le goût, dit Franck Dubourdieu, se déséquilibre au profit de l’acidité dont le taux ne varie pas avec le vieillissement. Le vin commence à s’user, à « sécher ». Il arrive à son terme.

Ces variations dans la qualité du vin au fil du temps peuvent être représentées par des courbes de vie, le plus souvent en cloches, dont l’amplitude dépend du millésime et de l’origine. La partie haute de la courbe donne le moment optimal de la maturité. La mise au point de ces courbes, précieuses pour l’amateur, repose encore largement sur l’empirisme. L’université de Bourgogne tente aujourd’hui d’y instiller un peu de science. A partir de leurs indices de maturité phénolique, les chercheurs constituent une base de données des millésimes passés. L’idée est de comparer les caractéristiques phénoliques des futurs millésimes à celles des millésimes dont la courbe de vie est connue. A teneur phénolique égale, les deux millésimes devraient, parie-t-on, évoluer de manière comparable. En attendant, les dégustateurs ont encore de beaux jours devant eux.


Polyphénols : une famille nombreuse et colorée
La famille des polyphénols comprend plusieurs milliers de membres. On les trouve dans la plupart des végétaux, mais le raisin est l’un des fruits qui en contient le plus. Les concentrations de polyphénols dans les jus de raisin et les vins peuvent être très élevées. Si elles ne dépassent pas 350 mg/l dans le vin blanc, elles atteignent 4g/l dans le vin rouge. Pour s’y retrouver, les chimistes ont coutume de classer les composés phénoliques en sous-familles. D’un côté, les flavonoïdes, de l’autre les non flavonoïdes. Les premiers regroupent 4 clans :
- les anthocyanes, qui sont les pigments du raisin rouge, surtout présents dans la pellicule ;
- les 3-flavanols, ou tanins sont surtout localisés dans la pellicule et les pépins ;
- les flavanols, que l’on trouve dans la pellicule ;
- les flavanonols et flavones, identifiés dans la pellicule du raisin blanc.

Les seconds englobent deux groupes :

- les acides phénols, présents dans la pellicule et la pulpe ;
- les stilbènes, dont le célèbre resvératrol, identifié surtout dans les pellicules.
Modifié en dernier par Montrachet le jeu. 14 sept. 2006 15:42, modifié 1 fois.



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Message par Tipif » mar. 12 sept. 2006 18:55

WOW!! Trrrès intéressant!! Merci Montrachet! Si t'en a d'autres comme ça hésite pas!!

Tipif :D

Don Max
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Re: Comment une bouteille se bonifie

Message par Don Max » mar. 12 sept. 2006 19:50

Thierry Souccar a écrit :Les anthocyanes, pigments du raisin rouge, sont un instrument majeur de cette stabilité. « Un Bordeaux rouge contient au départ 800 g d’anthocyanes à l’état libre par litre », indique Yves Glories. « Deux ans plus tard, on n’en trouve plus que 150 g. Dix ans plus tard, on ne trouve plus rien. » Explication : en s’agglomérant, les tanins forment des mailles moléculaires qui emprisonnent les anthocyanes. Une combinaison, qui, selon Michel Feuillat, « améliore la couleur et la stabilité dans le temps. »

Ça en fait de l'anthocyane ça! :shock:

Don Max

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Re: Comment une bouteille se bonifie

Message par Tipif » mar. 12 sept. 2006 20:40

Don Max a écrit :
Ça en fait de l'anthocyane ça! :shock:

Don Max
Bon point, ça!!! Je crois qu'il faudrait savoir c'est quoi un "anthocyane" et en quoi ça se tranforme pour mieux comprendre? Ou encore il s'agit simplement d'une erreur typographique et que ce sont des "mg" dont il s'agit?

Tipif :D
Modifié en dernier par Tipif le jeu. 14 sept. 2006 19:39, modifié 1 fois.

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Message par Don Max » mar. 12 sept. 2006 20:59

Effectivement, je pense qu'il s'agit de milligrammes.

Don Max

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Message par Montrachet » mer. 13 sept. 2006 23:03

Évidement il est question de mg/L et non de g/L, mais j’attends la confirmation de l’auteur avant de corriger son texte.

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Message par Montrachet » jeu. 14 sept. 2006 15:41

J’ai reçu confirmation de l’auteur, c’est bien des mg/L, j’ai édité le texte original en conséquence.


Pour DonMax :
Merci de votre œil perçant !
Thierry Souccar
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