Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

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patrickessa
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Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par patrickessa » mer. 15 avr. 2020 2:24

Millésime 2020 (2): ça pousse!

Chaque année végétative est différente et lors de cette dernières décennie bien malin qui pourrait expliquer ce qu’est un « millésime normal ». En fait nous savons que notre cycle « précoce » se poursuit et qu’il est entrecoupé par des épisodes climatiques pouvant être dévastateurs.
Toutefois voici trois ans que nous n’avons - à Meursault - connu ni grêle ni véritable gelée, ce, même si en 2019 certains secteurs ont souffert d’un froid intense et plus tard d’une longue période de fortes chaleurs.
En fait, sans être « pour » ou « contre » nous observons que la qualité de ce cycle est constante sur chaque millésime et que de ce point de vue nous avons une nature clémente nous faisant produire des vins de haute qualité.
Ce qui est aléatoire a plutôt trait aux rendements. En effet 2012, 2014, 2016 et 2019 furent des années de faible production. Elles sont préférables sans doute aux années abondantes de piètre qualité - 2004,1994 par exemple - mais il est certain que si elles ne sont pas suivies par un millésime un peu plus abondant elles impactent les trésoreries. Lors de cette décennie nous nous en sortons plus tôt bien: 2013 a compensé 2012, 2015 a magnifié 2014, 2017 a sublimé 2016 et 2018 permettra de passer le cap 2019 sans encombre.
Alors me direz vous tout est parfait!? Eh bien en un sens oui car 2020 à une avancée normalement précoce qui le situe dans la lignée de 2012 et 2014 mais surtout il évoque pour l’instant le temps qu’il fit en 2017. Heureux présage a Meursault non? Tant ce millésime est aujourd’hui sans doute une superbe réussite blanche...
Nous commencerons d’ébourgeonner - ejetinner, ejetonner, évasiver...- dès demain en Bouches-Chères pour passer dans les coteaux une première fois durant la semaine qui vient.
Louis et Lucas changent les quelques piquets et tirants (fils) qui sont « fatigués » et Ludovic laboure les vignes de plaine que nous ne souhaitions pas « ouvrir » trop tôt. C’est dur et sec, pas idéal....mais cela se fait.
Tout de bon!

Patrick Essa - Vigneron au domaine Buisson-Charles à Meursault



Hanibal
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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par Hanibal » mer. 15 avr. 2020 7:25

patrickessa a écrit :
mer. 15 avr. 2020 2:24
Millésime 2020 (2): ça pousse!
Merci Patrick toujours agreable de lire comment les choses se déroule chez vous
:Bonjour:
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BenAfnam
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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par BenAfnam » mer. 15 avr. 2020 15:01

Patrick, j'ai connu les vins qui faisaient 11,5%, 12%, 12,5%...pis là on est rendu à 13,5% et même 14% d'alcool.
Résultat du réchauffement climatique, oui? non?
Qu'en sera-t-il, si "la tendance se maintient", dans 15ans? dans 25 ans?

Cette augmentation des taux d'alcool explique-t-elle l'augmentation croissante, effrénée des prix ?*
Les producteurs - je ne parle pas ici du petit producteur - craignent-ils, dans un avenir rapproché, à moyen terme, disons dans 20-25 ans, de ne plus être en mesure de produire des vins de "qualité"? Donc on s'en met plein les poches pendant que …

* Faudrait pas tout mettre sur le dos des Chinois!
"Jamais vin ne vint en vain!"

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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par patrickessa » mer. 15 avr. 2020 15:59

En fait c’est le contraire qui se produit! Les crus ont toujours été chaptalisé pour faire 13/13,5 et les grands crus pour être à 14.
aujourd’hui ce qui fait peur c’est qu’il n’est plus possible de chaptaliser. Certains ont peur de ses vrais degrés naturels car ils ne peuvent plus contrôler et choisir le seuil sui caractérise le cru.
Mais l’alcool précisément se sent quand il est augmenté par du sucre exogène, s’il est naturel il ne se sent pas. Pour préserver l’acidité il faut baisser les rendements et être « bon »à la vigne, voilà le vrai problème au fond car il est nécessaire de limiter les rendements bien en dessous du seuil autorisé qui est très - trop - permissif.
Aucune crainte donc pour nous avec le réchauffement climatique car il nous a apporté une régularité qualitative incroyable.
Quant aux prix, le mécanisme de taxe les impacte tres fortement chez vous.

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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par patrickessa » lun. 20 avr. 2020 2:29

De l’influence du climat sur la vigne et les hommes

Maîtriser le temps et l’imaginer idéal pour que les plants de vigne poussent régulièrement et sans dommage est sans aucun doute le rêve secret de chaque producteur.
En tête un modèle se dessine. Régulier et lisse il conduirait la vigne de sa taille à la récolte en un cheminement rectiligne où les gestes viticoles seraient plaqués selon un calendrier rythmé par les saisons, les planètes et les jours qui filent. Une taille en hiver, une période végétative conduisant à la floraison au printemps, une maturation des fruits en Été et une récolte au tout début de l’Automne.
Las, ce modèle constitué par des générations d’observations n’a qu’une valeur informative et chaque année diffère de la précédente. En fait de manière constitutive il n’est pas une année qui est « normale » mais à chaque fois un millésime qui s’inscrit dans un cycle plus large qu’il convient de prendre en compte. Sans doute ces périodes sont elles ces dernières décennies influencées par l’activité humaine mais certainement pas - ou très peu - par l’activité des viticulteurs. Comment pourrions nous par nos actions quotidiennes, influencer le modèle climatique d’ensemble qui marque notre planète? Il serait illusoire de l’imaginer.
En revanche il est permis de comprendre avec acuité comment en ce moment nos millésimes se succèdent. Il est urgent de ne plus considerer qu’une récolte se déroule 8 fois sur 10 entre le 20 Septembre et le 5 Octobre. Il est évident que notre climat s’est quelque peu décalé et que nous avons 7 fois sur 10 des années dont la période végétative démarre à la fin de Mars et qu’ensuite ce climat peine à trouver les ressources hydriques pour les plants qui naguère étaient régulières en Avril et Mai. La plante elle, s’adapte d’ailleurs remarquablement à ces changements. Elle pousse bien sans souffrir et a même en 2019 montré une très grande vigueur en ayant quasiment reçu aucune pluie. Évidemment elle a privilégié sa surface foliaire avant que de favoriser ses fruits - bien plus chétifs qu’à l’accoutumée - mais elle a compris que sa survie en dépendait. En ce sens elle a eu un fonctionnement bio-dynamique naturel.
Il est de ce fait urgent pour le domaine Buisson-Charles de raisonner sans imaginer ce dont la vigne a besoin pour fonctionner selon des processus passés mais au contraire de la suivre pour comprendre son fonctionnement caractérisé par le climat de l’année en cours. On donnerait presque raison à ceux qui il y a longtemps ont repoussé la notion de cru pour la remplacer par celle de climat afin d’isoler un terroir.
En fait nos modélisations sont obsolètes et chaque geste est à reconsidérer selon le déroulement quotidien du temps qui passe. Non plus attendre un effet qui doit venir mais l’anticiper en suivant une voie non contraignante. Raisonner la taille en deux fois avec un calendrier tardif pour éviter les gelées d’Avril, raisonner le labour sans imaginer qu’un sol nu est plus fertile, raisonner l’ébourgeonnage en supposant que les fruits seront moins conséquents, raisonner le palissage en n’omettant pas que trop le cisailler a une influence sur une photosynthèse nécessaire et surtout raisonner les traitements selon une région qui se situe désormais un peu plus bas que la limite nord d’expression du cépage avec un climat plus chaud et sec moins favorable aux maladies.
Nous avons le temps de la Côte Rôtie il y a trente ans et il est évident que s’ils ne traitent que 3 à 5 fois par millésime nous n’avons plus besoin aujourd’hui de rentrer 10/15 fois par an dans nos vignes avec des produits sur-puissants, selon des doses de cheval.
Bon sens, cuivre modéré , soufre mouillable qui ne brûle pas , plantes bien dosées et nous devrions être en mesure de passer le cap tranquillement avec du matériel léger et un retour à l’humain en force dans les vignes.
Nous restons donc serein en ce millésime 2020 face à la pousse régulière qui nous conduira à ébourgeonner à partir du 20 ( sauf deux vignes faites avant) et comme aucune pluie véritable n’est annoncée avant 15 jours nous ne traiterons pas avant le 25, moment où quasiment tous les bourgeons auront debourrés.

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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par Bourgogre » lun. 20 avr. 2020 20:20

patrickessa a écrit :
lun. 20 avr. 2020 2:29
De l’influence du climat sur la vigne et les hommes

Maîtriser le temps et l’imaginer idéal pour que les plants de vigne poussent régulièrement et sans dommage est sans aucun doute le rêve secret de chaque producteur.
En tête un modèle se dessine. Régulier et lisse il conduirait la vigne de sa taille à la récolte en un cheminement rectiligne où les gestes viticoles seraient plaqués selon un calendrier rythmé par les saisons, les planètes et les jours qui filent. Une taille en hiver, une période végétative conduisant à la floraison au printemps, une maturation des fruits en Été et une récolte au tout début de l’Automne.
Las, ce modèle constitué par des générations d’observations n’a qu’une valeur informative et chaque année diffère de la précédente. En fait de manière constitutive il n’est pas une année qui est « normale » mais à chaque fois un millésime qui s’inscrit dans un cycle plus large qu’il convient de prendre en compte. Sans doute ces périodes sont elles ces dernières décennies influencées par l’activité humaine mais certainement pas - ou très peu - par l’activité des viticulteurs. Comment pourrions nous par nos actions quotidiennes, influencer le modèle climatique d’ensemble qui marque notre planète? Il serait illusoire de l’imaginer.
En revanche il est permis de comprendre avec acuité comment en ce moment nos millésimes se succèdent. Il est urgent de ne plus considerer qu’une récolte se déroule 8 fois sur 10 entre le 20 Septembre et le 5 Octobre. Il est évident que notre climat s’est quelque peu décalé et que nous avons 7 fois sur 10 des années dont la période végétative démarre à la fin de Mars et qu’ensuite ce climat peine à trouver les ressources hydriques pour les plants qui naguère étaient régulières en Avril et Mai. La plante elle, s’adapte d’ailleurs remarquablement à ces changements. Elle pousse bien sans souffrir et a même en 2019 montré une très grande vigueur en ayant quasiment reçu aucune pluie. Évidemment elle a privilégié sa surface foliaire avant que de favoriser ses fruits - bien plus chétifs qu’à l’accoutumée - mais elle a compris que sa survie en dépendait. En ce sens elle a eu un fonctionnement bio-dynamique naturel.
Il est de ce fait urgent pour le domaine Buisson-Charles de raisonner sans imaginer ce dont la vigne a besoin pour fonctionner selon des processus passés mais au contraire de la suivre pour comprendre son fonctionnement caractérisé par le climat de l’année en cours. On donnerait presque raison à ceux qui il y a longtemps ont repoussé la notion de cru pour la remplacer par celle de climat afin d’isoler un terroir.
En fait nos modélisations sont obsolètes et chaque geste est à reconsidérer selon le déroulement quotidien du temps qui passe. Non plus attendre un effet qui doit venir mais l’anticiper en suivant une voie non contraignante. Raisonner la taille en deux fois avec un calendrier tardif pour éviter les gelées d’Avril, raisonner le labour sans imaginer qu’un sol nu est plus fertile, raisonner l’ébourgeonnage en supposant que les fruits seront moins conséquents, raisonner le palissage en n’omettant pas que trop le cisailler a une influence sur une photosynthèse nécessaire et surtout raisonner les traitements selon une région qui se situe désormais un peu plus bas que la limite nord d’expression du cépage avec un climat plus chaud et sec moins favorable aux maladies.
Nous avons le temps de la Côte Rôtie il y a trente ans et il est évident que s’ils ne traitent que 3 à 5 fois par millésime nous n’avons plus besoin aujourd’hui de rentrer 10/15 fois par an dans nos vignes avec des produits sur-puissants, selon des doses de cheval.
Bon sens, cuivre modéré , soufre mouillable qui ne brûle pas , plantes bien dosées et nous devrions être en mesure de passer le cap tranquillement avec du matériel léger et un retour à l’humain en force dans les vignes.
Nous restons donc serein en ce millésime 2020 face à la pousse régulière qui nous conduira à ébourgeonner à partir du 20 ( sauf deux vignes faites avant) et comme aucune pluie véritable n’est annoncée avant 15 jours nous ne traiterons pas avant le 25, moment où quasiment tous les bourgeons auront debourrés.

Tout de bon!
Toujours très intéressant...
Je vais quand même le dire: Il s'agit d'un de vos plus beaux textes.
On y voit l'expérience, alliée à une connaissance de la nature qui confine à la poésie ...

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Re: Petite histoire du millésime 2020 en terre murisaltienne

Message par patrickessa » dim. 17 mai 2020 10:17

Perdre fleur et conserver son apex...en étirant son cycle!

La vigne pousse selon des rythmes liés au temps du millésime en cours mais également selon le rythme interne de son métabolisme. Cette Lapalissade végétative pourrait faire croire que face à elle l’homme est réduit à l’état d’observateur béat, contemplant les rameaux et les fruits tout au long de la saison.
Il n’en est rien.
Avec les années, à la manière de Monsieur Jourdain il nous est apparu que la prose gestuelle que nous utilisions pour cultiver la plante avait une incidence avérée. Après avoir compris de manière empirique que la longueur de la période qui court après la fleur était essentielle à l’obtention de fruits équilibrés et qu’il s’agissait de l’étirer au maximum, est venu le temps de définir quels étaient les moyens de retarder la pousse de la liane pérenne.
Encore une fois rien de révolutionnaire mais plutôt un retour à des préceptes anciens consistant à positionner les bons plants et porte-greffes aux bons endroits, à tailler en deux fois en passant le plus tard possible la seconde fois, à ébourgeonner pour aérer la plante sans la déshabiller, à labourer tardivement, à plier les baguettes le plus tard possible en zone gélive...bref à repousser le début de la saison végétative dans ce cycle actuel qui est à l’évidence précoce.
En luttant ainsi contre la gelée, il nous a été possible de voir nos plants modifier sensiblement leur comportement et adopter un rythme imperceptiblement plus lent que lors des millésimes antérieurs. Ainsi, en ce moment, nous sommes assez loin d’avoir des vignes vigoureuses qui seraient à écimer au niveau de leur apex sommital et nous pouvons tranquillement finir de les ébourgeonner et de les palisser en attendant que la fleur passe complètement, probablement à la fin de ce mois de Mai. Pas avant.
Observez les photos ci dessous qui prouvent avec acuité que nos raisins n’ont pas encore commencés à développer les petits cils blancs de la fleur qui « évolue » puis leur chute qui signale la fin de cette avancée végétative. Cela nous permettra de patienter et d’allonger la saison de mûrissement ce qui permet de complexifier les raisins de limite Nord et de leur conférer cet équilibre abouti qui lui seul permet de révéler le terroir dans toute sa dimension.
En fait nous aimons prendre le temps, retarder le plus possible les différents moments d’intervention pour les exécuter au moment opportun, dans une « temporalité »idéale. Le rythme de la vigne n’est pas celui de l’homme, il ne peut être emprisonné dans le systématisme et si la vigne n’est pas un jardin qu’il faut suivre, elle n’est pas non plus une liane sauvage qu’il faut laisser faire. Non, c’est un organisme vivant qui définit lui même son avancée en prenant celui qui s’en occupe par les vrilles qu’elle lance et les rejets qu’elle émet.
Tu me coupes, je te donne des entre coeurs, tu m’enlèves des feuilles, je limite la croissance de mes fruits, tu me dépouilles trop tôt de mes raisins, je te donne des fruits variétaux, trop tard...je te donne du sucre et des arômes passés.
2020’nous verra sans doute au domaine récolter au début de Septembre - entre le 5 et le 10 à plus ou moins 5 jours près - et nous sommes très heureux de constater que ces dates précoces, récurrentes ces dernières années, sont désormais parfaitement intégrées et maîtrisées par nos process culturaux et de vinif-élevages...
Nous avons fait notre petite révolution copernicienne en ajustant des usages anciens à des réalités modernes. Nous verrons dans quelques temps si les vins qui en sont issus ont le niveau...

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